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Textes divers

Une histoire de rires et de sourires parallèles mais non simultanés

I

J’avais oublié le son causé par l’impact du pare-chocs de ma voiture contre ses jambes presque tout aussi rapidement que l’accident s’était produit. Un son sourd et désagréable, un son qui n’augurait rien de bon. Ce mauvais pressentiment s’était confirmé lorsque je le vis être catapulté sur la chaussée, quelques mètres plus loin. Son corps avait heurté le sol si violemment qu’il avait rebondi à quelques reprises avant de s’arrêter.

Pourtant, sur le moment, je ne pus contenir l’apparition sur mon visage des prémices d’une expression qu’un témoin aurait raisonnablement considéré comme un sourire de satisfaction.

À ma décharge, je n’avais alors pas encore pleinement saisi la gravité de l’accident. Aussi, après toutes ces années à mépriser les gens de son espèce, mon esprit avait probablement conditionné mon visage à réagir exactement de la sorte si d’aventure une telle situation se produisait. Et pour être tout à fait honnête, le mépris que je ressentais envers les gens comme lui avait récemment cheminé un peu plus vers la haine.

Je regardais sur Internet un spectacle que l’humoriste George Carlin avait enregistré en 1988, en l’occurrence What Am I Doing in New Jersey. J’avais toujours aimé le type d’humour provocateur de ce monologuiste comique états-unien. Mais lorsque Carlin a commencé à parler des choses qui le rendaient furieux au volant, il a touché une corde particulièrement sensible.

Et pour cause! L’une des choses qui le mettaient en furie lorsqu’il conduisait était ces gens qu’il appelle les « jogger assholes ».

Déjà, en entendant ce sobriquet, j’avais éclaté en rires. Puis, lorsque Carlin a raconté qu’il avait lui-même tué trois jogger assholes et ajouté qu’il pourrait avoir quelques autres victimes à son actif, mais qu’il préférait parfois s’amuser à leurs dépens en leur arrachant une chaussure avec son pneu avant droit, mes éclats de rire s’étaient transformés en une quinte incontrôlable!

« Ils pensent qu’ils vivront plus longtemps grâce à la course à pied! s’était exclamé Carlin. Eh bien, pas s’ils s’approchent de mon ***** de véhicule, ça, je vous l’assure! »

Les blagues de Carlin illustraient bien l’irritation que je ressentais parfois au volant en apercevant un coureur. Je ne savais pas pourquoi exactement, mais je maudissais les gens de cette espèce. À vrai dire, ces moments agréables passés en compagnie de Carlin m’avaient à ce point touché qu’il m’arrivait depuis d’éprouver un plaisir quasi jouissif en m’imaginant faire intentionnellement une embardée pour heurter un jogger asshole qui venait de surgir dans mon champ de vision.

Loin de moi toutefois l’idée de blesser des coureurs. Je m’imaginais simplement les effrayer un peu, les agresser légèrement en violant leur espace personnel. Rien de plus. Dans mes états de distraction les plus délicieux, je faisais parfois voler une chaussure avec le pneu avant droit de ma voiture…

Enfin, tout cela relevait du domaine des rêveries, et, lorsque je reprenais contact avec la réalité, je réalisais que peu de choses séparaient le mépris que j’éprouvais pour les jogger assholes d’un sentiment de haine pure et simple.

J’ai éteint le moteur de ma voiture, détaché ma ceinture et je me suis redressé légèrement en tendant le cou pour voir ce qui m’attendait à l’extérieur de l’habitacle. Malheureusement, des passants commençaient déjà à s’agglutiner autour du jogger asshole, obstruant du même coup ma vue.

J’ai ouvert la portière, puis je suis sorti avec l’empressement que la situation commandait, mais en tempérant habilement mon élan pour gagner quelques fractions de seconde. Ces passants n’étaient pas de simples piétons qui se portaient au secours d’une victime : ils étaient subitement devenus de possibles témoins à charge susceptibles de m’incriminer. Il me fallait donc effacer toute trace de l’expression qui avait spontanément commencé à se former sur mon visage lorsque ce jogger asshole avait été catapulté.

Je me suis frayé un chemin entre les passants pour m’approcher de lui. Quelques personnes avaient déjà dégainé leur téléphone cellulaire pour appeler les secours. Ce que je vis me figea instantanément. Quelques secondes à peine s’étaient écoulées depuis l’impact, mais une flaque de sang avait déjà commencé à se former autour de son corps.

Cette flaque me semblait immense. Disproportionnée, à vrai dire, du moins pour la gravité qui m’avait semblé être celle de l’accident. Je ne comprenais pas comment j’en étais arrivé là.

Je dois admettre que j’avais à peine regardé à ma droite en m’approchant de l’intersection. J’avais également omis d’immobiliser complètement ma voiture au panneau ARRÊT. Ces précautions m’avaient semblé inutiles dans les circonstances, tout simplement.

Je circulais sur une rue à sens unique peu achalandée et m’apprêtais à tourner à droite sur une rue également à sens unique et peu achalandée. Automobiliste d’expérience, je savais que le danger et les risques d’accident étaient concentrés du côté gauche. De plus, je considérais être doté d’une vision périphérique d’une qualité exceptionnelle, une faculté qui ne m’avait d’ailleurs jamais failli au volant. Par conséquent, j’avais opté pour la manœuvre de mise dans cette situation en particulier, en l’occurrence un stop à l’américaine combiné à un bref, très bref, coup d’œil vers le côté sûr. Il s’agissait d’un art que je maîtrisais parfaitement, et ce, depuis des années.

Ce grossier jogger asshole avait choisi le pire des moments pour faire son apparition, soit à l’instant précis où, profitant de la vitesse résiduelle de ma voiture, j’avais enfoncé jusqu’à mi-course la pédale d’accélération pour amorcer illico mon virage et ainsi limiter à quelques millisecondes le temps perdu. Cet ostrogoth avait surgi de nulle part et il gisait maintenant dans une mare de son propre sang.

Abasourdi, j’ai détourné le regard. Mes yeux se sont posés sur une casquette, la sienne. Il s’agissait de l’une de ces casquettes multicolores et tape-à-l’œil que bon nombre de membres de son espèce portaient avec une fierté démesurée.

Parfois, si j’étais d’humeur un peu exécrable, la simple vue de l’une de ces casquettes bondissant au loin dans mon champ de vision suffisait pour déclencher une profonde irritation. Je plongeais alors dans une rêverie des plus malveillantes où s’envolait non seulement une chaussure de course, mais jogger asshole et caquette également.

Souvent, ces moments de distraction prenaient fin de la même manière.

D’abord, la même observation me venait à l’esprit, à savoir que le nom de la marque de ces casquettes, Selles, seyait merveilleusement bien à leurs propriétaires : « En effet, des merdes. »

Je renchérissais ensuite invariablement avec la même formule : « Des merdes ambulantes, pour être tout à fait exact. »

J’ai redirigé mon regard sur lui. Il avait levé légèrement la tête et regardait sa casquette. Dans ses yeux, j’ai cru percevoir quelque chose comme un mélange d’horreur et de profonde incompréhension. J’ai aussitôt réalisé que la vue de tout ce sang, son propre sang, l’avait horrifié et qu’il ne comprenait pas, lui non plus, comment il en était arrivé là.

Il a reposé sa tête sur le sol, et je me suis approché de lui en franchissant les quelques pas qui nous séparaient encore. Je me suis accroupi tout près de lui avec la ferme intention de lui parler et tenter de le réconforter en attendant l’arrivée des secours.

J’en ai toutefois été incapable. J’étais dépassé par les événements, bien évidemment, mais quelque chose dans son regard me troublait au point de me priver de l’usage de la parole.

Il regardait droit devant lui, fixant comme un point imaginaire. J’avais l’impression qu’il se livrait à un intense exercice de réflexion, mais qu’il était en même temps emporté, emporté ailleurs.

Puis, il a poussé une longue expiration et relâché son corps. À ce moment précis, j’ai craint que, son sang ayant d’ores et déjà entrepris de quitter son corps, ce fût maintenant au tour de la vie d’amorcer sa désertion. Ou peut-être venait-il simplement de s’abandonner à ce qu’il tenait pour une fatalité.

Cependant, ce que je vis dans ses yeux et lus sur son visage au cours des brefs instants qui suivirent me conduisit à penser qu’il ne s’inclinait pas devant son sort, mais qu’il venait plutôt d’être frappé par la révélation d’une quelconque vérité transcendante.

Il a écarquillé les yeux et écarté les lèvres, comme s’il était pris d’émerveillement, comme s’il venait de comprendre quelque chose qui dépassait en importance et en signification tout ce qu’il croyait savoir et connaître jusque-là.

Il a souri. Puis, sur son visage sont apparues les prémices d’une expression qu’il m’a semblé raisonnable de considérer comme un rire avorté.

II

J’avais oublié l’impact du pare-chocs de la voiture contre mes jambes ainsi que mon vol plané presque tout aussi rapidement que l’accident s’était produit. Mon corps avait heurté le sol si violemment qu’il avait rebondi à quelques reprises sur la chaussée avant de s’arrêter. Des douleurs très vives s’étaient ensuite propagées dans la moindre fibre de mon corps, mais je les avais oubliées, elles aussi, très rapidement. Mon esprit était entièrement concentré sur une sensation que je n’avais jamais ressentie auparavant, une sensation désagréable et qui n’augurait rien de bon.

La journée avait pourtant si bien commencé, c’est-à-dire par une sortie de course à pied.

Fidèle à mon habitude, après avoir soigneusement enfoncé ma casquette sur la tête, j’avais plié la visière vers le haut en jetant un dernier coup d’œil dans le miroir de mon entrée. Ce regard rapide avant de quitter la maison pouvait laisser croire que je voulais simplement m’assurer d’avoir une apparence convenable pour les circonstances. En réalité toutefois, il s’agissait d’un prétexte pour contempler brièvement ce que je considérais comme l’un des meilleurs achats de ma vie de coureur : ma casquette Selles.

Il s’agit de l’une de ces casquettes multicolores et débordantes de vivacité qui sont fort populaires chez les coureurs. La plupart des adeptes de la course à pied préfèrent porter leur casquette de manière traditionnelle. Pour ma part, je suis de ceux qui ont adhéré à une école de pensée différente en matière de port de casquette : visière pliée vers le haut en toutes circonstances!

Quoi qu’il en soit, lors de ces brefs moments de contemplation devant le miroir, une séquence en particulier du film White Men Can’t Jump me revenait parfois à l’esprit.

Sorti en 1992, ce film met en scène les aventures et, surtout, les mésaventures de Sidney Deane et de Billy Hoyle, qui s’associent peu après avoir fait connaissance pour gagner de l’argent lors de matchs de basketball de rue. Incarné par Wesley Snipes, Sidney porte, et ce, dans presque chacune des scènes où il apparaît à l’écran, l’une de ces drôles de petites casquettes qui étaient alors très en vogue chez les cyclistes. Toutefois, Sidney se plaît à porter sa casquette de cycliste… visière pliée vers le haut!

Lors de la séquence en question, Billy Hoyle, personnage interprété par Woody Harrelson, exploite cette « vulnérabilité » dans la personnalité de Sidney au cours d’une dispute avec son acolyte. L’échange de propos acerbes atteint son paroxysme, et Billy, qui a, lui aussi, presque continuellement une casquette vissée sur la tête – mais de type baseball –, plie la visière vers le haut en faisant des grimaces pour narguer Sidney et le tourner en ridicule.

Lorsque je vis cette scène pour la première fois, j’avais éclaté de rire : la façon dont Sidney portait sa casquette lui donnait effectivement un air ridicule. Des années plus tard, lorsque j’admirerais ma casquette Selles dans le miroir tout juste avant d’aller courir, les moqueries de Billy Hoyle me reviendraient parfois à la mémoire, et je me dirais alors que je devais avoir, moi aussi, l’air ridicule en portant ma casquette visière pliée vers le haut…

Ce fut le cas avant d’entamer cette sortie matinale. Toutefois, ce sentiment d’embarras s’était dissipé presque tout aussi rapidement que les moqueries de Billy Hoyle m’étaient revenues à l’esprit. En m’agenouillant pour lacer mes chaussures de course, mes pensées avaient instantanément dévié vers un texte que j’avais lu la veille sur Internet et qui m’avait laissé perplexe.

L’auteure de ce texte, une podiatre états-unienne spécialisée en médecine du sport, explique comment elle sait que le moment est venu de remplacer ses chaussures de sport, une précaution qui permet, explique-t-elle, d’éviter les blessures. Adepte de la course à pied, cette spécialiste de podiatrie affirme que les semelles intercalaires peuvent être considérées comme usées après 300 à 500 miles de course ou de marche.

La durée de vie avancée par l’auteure ne m’étonna guère; la très vaste majorité des spécialistes et des intervenants qui se prononcent sur la question de l’usure des chaussures de course à pied se positionnent à l’intérieur de cette fourchette.

En fait, ce furent plutôt les derniers mots du postulat de cette podiatre qui m’avaient plongé dans la perplexité : de course ou de marche.

Comment une professionnelle de la santé, une coureuse de surcroît, pouvait-elle laisser entendre que la force d’impact au sol, un déterminant d’importance majeure dans l’usure des chaussures, était la même pour la marche et la course à pied!?

« Une telle affirmation va à l’encontre du bon sens le plus élémentaire! », m’étais-je insurgé en fermant la porte derrière moi.

Bien qu’elle fût exprimée sur un ton catégorique, cette critique n’avait nullement eu pour effet de clore la question et d’orienter mes pensées vers des sujets plus frivoles et susceptibles d’égayer ma sortie. Bien au contraire!

En fait, mon objection à l’opinion de cette podiatre fut le point de départ d’un long monologue intérieur où j’ai récapitulé toutes les informations que j’avais rassemblées sur un sujet qui me tracassait depuis des mois : les liens entre les chaussures de course à pied et les blessures.

J’étais totalement absorbé par cette synthèse lorsqu’une voiture surgie de nulle part à l’intersection de deux rues peu achalandées interrompit brutalement mes réflexions en me happant les jambes.

Étendu sur le sol de tout mon long après avoir été catapulté sur la chaussée quelques mètres plus loin, j’avais l’impression que mon corps se vidait de quelque chose. Voilà la sensation désagréable qui monopolisait mon attention. Je devais maintenant rassembler suffisamment de force et de courage pour faire le geste qui me permettrait d’en avoir le cœur net.

Déjà, des passants avaient commencé à s’agglutiner autour de moi. Je voyais que certains d’entre eux avaient porté leur téléphone cellulaire à l’oreille, probablement pour appeler les secours. Toutefois, je ne voyais aucune de ces personnes distinctement. Certes, elles étaient là, devant mes yeux et autour de moi, mais elles s’étaient effacées derrière une sorte de lueur blanchâtre et vaporeuse qui s’avançait graduellement.

Ayant puisé assez de force et de courage, j’ai levé légèrement la tête pour constater les dégâts. Ce que je vis me bouleversa instantanément. La sensation désagréable qui m’avait fait oublier choc, vol plané et douleurs correspondait exactement à ce qui se passait : mon corps était en train de se vider de quelque chose.

Quelques secondes à peine s’étaient écoulées depuis l’accident, mais une flaque immense, disproportionnée même, de sang avait déjà commencé à se former autour de moi. Horrifié, j’ai détourné le regard, et mes yeux se sont posés sur ma casquette.

À ce sentiment d’horreur s’ajoutait une profonde incompréhension. Je ne comprenais pas comment j’en étais arrivé là. J’ai reposé ma tête sur le sol et j’ai entrepris de reconstituer la chaîne des événements qui m’avaient conduit ici, dans une mare de mon propre sang.

Curieusement, mon esprit a divagué, et la première pensée qui m’est venue en tête était un souvenir.

Quelques mois auparavant, j’avais tenté d’établir la source originelle de la recommandation généralement admise pour ce qui est de la durée de vie des chaussures de course à pied, la fameuse fourchette de 300 à 500 miles de la podiatre états-unienne, soit environ 500 à 800 km. Je trouvais curieux que cette recommandation suscite une adhésion aussi consensuelle de la part de personnes aussi différentes que des experts, des professionnels de la santé, des chercheurs universitaires, des fabricants de chaussures et des coureurs. Je m’étais donc résolu à faire la lumière sur cette affaire, ce que j’entrepris un samedi soir avec détermination et enthousiasme, verre de vin à la main.

Très rapidement, j’ai réalisé que les thèses, les affirmations et les données sur cette question étaient reprises et relayées entre les experts, les professionnels de la santé, les chercheurs, les fabricants de chaussures, les coureurs, les chroniqueurs, les blogueurs, et ainsi de suite, dans une sorte de grand ping-pong déconcertant, souvent à grands coups de références bibliographiques et de citations, mais très, très, très souvent sans la moindre remise en question ou perspective critique.

Cette constatation n’ayant entamé ni ma détermination ni mon enthousiasme, je plongeai un peu plus profondément dans ce dédale. Mais bientôt, je fus pris dans un écheveau inextricable duquel je ne sortis que plusieurs heures et verres de vin plus tard, bredouille, les yeux embués par la fatigue oculaire et la tête qui tournait.

Évidemment, mon incapacité à éclaircir cette question avait constitué un sujet prédominant de mes réflexions lors de mes entraînements suivants. Cependant, une découverte qui m’était tout d’abord apparue comme un détail négligeable gagna progressivement en prégnance.

En fait, lors de mes recherches parmi divers rapports de recherche et différentes études scientifiques, j’avais remarqué que certains travaux portant sur les liens entre les chaussures de course à pied et les blessures relayés auprès du grand public citaient des enquêtes menées auprès de militaires.

Sur le coup, je n’en fis pas grand cas, mais au cours des jours suivants, j’avais trouvé de plus en plus curieuse l’idée de transposer des hypothèses et des conclusions établies avec des personnes reconnues pour leur courage, des personnes prêtes à tuer et même à risquer leur vie pour assurer la réussite d’une mission, aux adeptes de la course à pied, c’est-à-dire à des personnes qui, comme moi, tremblaient pour la plupart face à un même petit mot : blessure.

Je repris contact avec la réalité. Ces moments de divagation avaient été de courte durée, mais entre-temps, la lueur blanchâtre et vaporeuse était devenue une vive lumière blanche. Qui plus est, elle avait poursuivi son avancée, à un point tel que je ne voyais plus personne; tous ces passants qui avaient rapidement convergé vers moi avaient disparu.

Soudainement, le visage de Billy Hoyle apparut devant moi! Il me regardait droit dans les yeux. D’un geste sec, il a plié la visière de sa casquette vers le haut en faisant des grimaces, exactement comme il l’avait fait dans White Men Can’t Jump pour ridiculiser Sidney. Mais cette fois-ci, Billy ne se moquait pas de son acolyte. Il se moquait de moi! Et cela, je le savais avec certitude : il portait une casquette Selles, le salaud!

J’ai poussé une longue expiration et relâché mon corps, et le visage de Billy Hoyle a disparu. Puis, une révélation me frappa, celle de ma méprise.

Voilà des mois que je me documentais et réfléchissais sur cette question des liens entre les chaussures de course à pied et les blessures. Des mois d’angoisse passés à craindre de me blesser, alors que le danger et les risques véritables ne se trouvaient pas à mes pieds, mais plutôt à ma gauche, au croisement de deux rues peu achalandées, mais où un automobiliste roulant à tombeau ouvert pouvait surgir subitement pour tourner à droite sans regarder ni s’arrêter.

Cette pensée m’a amusé.

J’ai souri, et ce sourire était sur le point de se transformer en rire, mais j’ai préféré m’abandonner à la vive lumière blanche, qui était maintenant aveuglante. De toute façon, elle occupait désormais la totalité de mon champ de vision.