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De l’inutilité de l’entraînement en côtes

Parmi les recommandations les plus courantes en ce qui concerne la préparation pour un ultramarathon en sentier, l’une dicte de reproduire en entraînement la spécificité du parcours de la compétition. Consultez un guide ou un ouvrage quelconque sur la course en sentier, demandez l’avis à un ultramarathonien expérimenté, et le conseil suivant émergera du lot à coup sûr : pour réussir un ultramarathon, il est important de s’entraîner le plus souvent possible en montées et en descentes, idéalement sur des sentiers.

Les bienfaits et les avantages de l’entraînement en côtes sont certes nombreux et touchent divers aspects de la pratique de la course à pied. Mais lorsque l’objectif du coureur est d’abord et avant tout de parvenir au fil d’arrivée de son ultramarathon – ce qui est d’ailleurs le cas pour la très vaste majorité des participants – l’entraînement en montées et en descentes est-il aussi indispensable que les coureurs, experts, guides et ouvrages le pensent, l’affirment ou le laissent croire?

J’ai récemment participé à un ultramarathon en sentier qui m’a amené à remettre en question ce point de vue, en l’occurrence l’épreuve de 115 kilomètres du Madeira Island Ultra-Trail (MIUT), une compétition qui se déroule sur l’île de Madère et qui fait partie du circuit de l’Ultra-Trail World Tour.

Lors des semaines et des mois qui ont précédé ma participation au MIUT, il m’est arrivé de douter de ma capacité à franchir le fil d’arrivée de cette compétition. La distance à couvrir en tant que telle ne me préoccupait pas; j’avais déjà parcouru cette distance en compétition, et même plus, et je tenais pour acquise ma capacité à y parvenir de nouveau. Mes craintes et mes doutes résidaient plutôt dans le dénivelé de l’épreuve : 7115 mètres de dénivelé positif et 7135 mètres de dénivelé négatif.

Si j’avais déjà parcouru plus de 115 kilomètres en compétition, je n’avais jamais enregistré un dénivelé aussi important. Mon record personnel s’établissait alors à approximativement 5600 mètres, sur une distance d’environ 149 kilomètres, lors d’une compétition en sentier à laquelle j’ai pris part en 2019 et que je n’ai pas réussi à terminer, faute d’être arrivé à un poste de ravitaillement dans le délai imparti.

Ainsi donc, j’avais bon espoir de réussir le MIUT, mais j’appréhendais également un revers. Dans le pire des scénarios d’échec lamentable que j’imaginais, un autre participant me trouverait en position fœtale au pied d’une montée, grelottant et marmonnant des appels à l’aide dans l’obscurité de la nuit…

Curieusement, malgré mes craintes et scénarios d’échec, j’ai tardé à amorcer mon entraînement spécifique, effectuant une première séance de montées et de descentes sur des sentiers – une première en plusieurs mois de surcroît – sept semaines avant la compétition.

Mais il y a plus encore.

Non seulement j’ai commencé mon entraînement spécifique quelque peu tardivement, mais j’ai également effectué très peu de séances d’entraînement en côtes. Au cours des six semaines qui ont précédé mon arrivée à Madère, j’ai effectué seulement trois sorties en sentier, accumulant dans la foulée entre 2000 et 2150 mètres de dénivelé positif*.

À ces séances d’entraînement spécifique, j’en ai ajouté trois autres à Madère même, quelques jours avant le MIUT, donc pendant ma période d’affûtage. J’ai ainsi parcouru entre 1800 et 2100 mètres de dénivelé positif*, soit à peu près le même volume que celui que j’avais accumulé au cours des semaines précédentes.

La plupart des adeptes d’ultramarathons sourcilleraient à l’idée de prendre part à une compétition en sentier de l’envergure du MIUT après une préparation de cet acabit. Certains diraient même sans ambages qu’il s’agit d’une garantie d’échec presque assurée… Dans le milieu des ultramarathons, il est bien notoire que la plus anodine des complications peut gagner en ampleur au point de faire dérailler une performance et mener très rapidement à un dénouement très redouté, le fameux DNF (« Did not finish »). Si, de surcroît, l’entraînement spécifique est à ce point lacunaire, aussi bien ne pas se présenter à la ligne de départ. Mieux vaut avoir un DNS (« Did not start »)qu’un DNF à son dossier de coureur…

J’étais parfaitement conscient du fait que les lacunes de mon entraînement spécifique risquaient de me mener à ma perte. Cependant, j’étais tout aussi conscient d’un fait propre aux compétitions en sentier, un fait bien connu de tous les adeptes de ce type d’événements, mais que bon nombre d’entre eux semblent parfois oublier trop rapidement : il y a beaucoup de marche dans les ultramarathons en sentier.

En fait, plus les gains et les pertes de dénivelé d’un parcours d’ultramarathon sont importants, plus les participants cesseront de courir pour marcher. Parfois, ce sera en raison d’une montée trop abrupte. D’autres fois, la descente sera trop technique ou dangereuse. Lors des étapes plus avancées de l’épreuve, l’épuisement physique et moral se sera imposé et aura raison du coureur, qui tardera alors à quitter un poste de ravitaillement ou à recommencer à courir.

À mon avis, la réussite d’un ultramarathon en sentier n’est pas tant tributaire de l’efficacité du coureur dans les montées et les descentes que de sa capacité à reprendre la course lorsque le terrain redevient favorable.

Lors de cette compétition en 2019 où j’ai été disqualifié pour avoir omis de respecter une barrière horaire, ce n’est pas ma lenteur dans les montées ou les descentes qui était à l’origine de mon échec. Je n’ai pas réussi à gagner le fil d’arrivée de cette course principalement parce que j’ai perdu trop de temps à des postes de ravitaillement et parce que j’ai refusé de courir lorsque je le pouvais. À ce jour encore, j’ai des images nettes dans mon esprit d’endroits et de moments précis où, assis à un poste de ravitaillement, j’ai hésité, tardé, atermoyé, refusé… Autrement dit, j’ai échoué parce que je ne me suis pas obligé à courir lorsque je le pouvais, lorsqu’il le fallait et lorsque je n’en avais pas envie.

Avec des gains et des pertes de dénivelé aussi importants par rapport à la distance à parcourir, le MIUT mettrait à rude épreuve ma capacité à reprendre un pas de course lorsque je le pourrais, lorsqu’il le faudrait et lorsque je n’en aurais pas envie. Or, à ce chapitre, mon entraînement était tout sauf lacunaire.

Aller courir lorsque je le peux, lorsqu’il le faut ou lorsque l’envie défaille, je connais depuis quelque temps : en 2020, j’ai parcouru à la course un peu plus de 6000 kilomètres, cadence d’entraînement que j’ai maintenue tout au long de 2021.

Six mille kilomètres en un an, cela implique de courir pour ainsi dire tous les jours. Il est ici question de courir en moyenne un peu plus de 16 kilomètres par jour et d’enregistrer des semaines de quelque 115 kilomètres. Voilà pour les chiffres.

Concrètement, 6000 kilomètres en un an, cela signifie de courir lorsque je le peux au cours de la journée pour accumuler des kilomètres tout en maintenant un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie familiale et personnelle. Il m’est déjà arrivé d’enfiler mes chaussures de course avant le lever du soleil pour aller courir une, deux ou trois heures et de rentrer avant le lever du soleil.

Cela signifie de courir lorsqu’il le faut, que ce soit pour me préparer pour une compétition ou simplement pour maintenir mon rythme d’entraînement.

Six mille kilomètres en un an, cela signifie également de courir lorsque je n’en ai pas envie, parce qu’en courant quasi quotidiennement, j’affronte inéluctablement des jours où le corps crie fatigue et misère et des jours où la météo incite à la dérobade.

Lors de ma préparation pour le MIUT, j’ai décidé de miser sur ma capacité à courir lorsque je le peux, lorsqu’il le faut et lorsque je n’en ai pas envie. Plutôt que de chercher à accumuler des mètres de dénivelé positif et de dénivelé négatif en entraînement, je me suis attaché à courir le plus souvent possible pour reproduire cette autre facette de la spécificité d’un ultramarathon, soit ces moments, inévitables, où la fatigue physique et mentale pèse et paralyse, où la force et la détermination nécessaires pour se remettre à courir font défaut.

Lors d’un ultramarathon en sentier, il n’y a pas que le parcours qui monte et qui descend. Le moral est lui aussi soumis à de telles variations, et le coureur traverse des moments où l’une des dernières choses dont il a envie est de courir. Ces moments font également partie de la spécificité des ultramarathons en sentier. Mieux vaut s’y préparer.


* Les données varient légèrement selon la source, soit avant et après le transfert des activités vers Strava.